États-Unis : interdiction des Gay Conversion Therapies

28 Aout 2013


Lundi 19 août, Chris Christie, gouverneur du New Jersey, a signé une loi interdisant les thérapies de conversion sexuelle sur les mineurs de moins de 18 ans. La loi représente ainsi une avancée significative en termes de reconnaissance de la condition homosexuelle, mais aussi en termes de protection de l’enfance, au grand dam des pro-thérapies. Décryptage.


« Le mouvement ex-homosexuel est une supercherie» | Crédits Photo -- Andrew Ciscel / Flickr
Le New Jersey est devenu le deuxième État, après la Californie, à interdire les psychothérapeutes d’assurer des thérapies de conversion sur les mineurs de moins de 18 ans. Néanmoins, nombre de groupes homophobes sont rapidement montés au créneau pour exprimer, d’une part, leur aversion envers une loi prohibant tout effort de changement d’orientation sexuelle (SOCE) et, d’autre part, pour questionner la constitutionnalité de la loi mise en vigueur. Parmi les défenseurs de ces « thérapies » controversées se trouve Mat Staver ; directeur du Liberty Counsel, association conservatrice non-caritative qui prétend « restaurer la culture en mettant en avant la liberté religieuse, sainteté de la vie humaine et de la famille ».

Pour Mat Staver, « cette loi est si générale que les parents ne pourront plus chercher de l’aide pour soigner leur fils ayant développé une attirance homosexuelle non désirée, après avoir été abusé sexuellement par les pairs de Jerry Sandusky (ancien entraîneur de football, condamné fin 2012 pour 45 viols sur mineurs, ndlr) ». C’est un adage vieux comme le monde : homosexualité est synonyme de pédophilie. Furieux, Mat Staver a porté plainte jeudi dernier auprès de la cour de district du New Jersey. Selon lui, la loi empiète sur le droit à « l’autodétermination » des enfants. Rappelons toutefois que ce terme signifie « la possibilité pour un individu de choisir librement sa conduite et ses opinions, hors de toute pression extérieure. » La loi les empêcherait ainsi de « privilégier leurs valeurs morales et religieuses, ainsi que leur droit à recevoir des conseils efficaces en accord avec ces valeurs. »

C’est dans les années 1910, dès la naissance de la psychanalyse, qu’apparaissent les thérapies de conversion ou reparative therapies, reconnues d’utilité publique par Abraham Brill, précurseur du genre aux États unis. Les pénectomies et autres massages rectaux font ainsi place à la parole pour soigner une maladie résultant de troubles psychologiques et hormonaux. Edmund Bergler radicalise les soins dès les années 1950, clamant pouvoir soigner 90 % des cas. Il brutalise ses patients et invoque leur volonté d’être punis pour leur nature délictueuse.

Nous parlerons alors de thérapie par aversion. L’homosexualité sera classée comme maladie mentale en 1952. En 1973, suite aux émeutes de Stonewall et de longs débats au sein de la classe médicale, l’American Psychatric Association lui retire sa dénomination de psychopathologie. En 1992, la NARTH (Association Nationale pour la Recherche et la Thérapie sur l’Homosexualité) entend s’opposer à l’opinion majoritaire des médecins sur l’homosexualité et « rendre efficace la psychothérapie pour tous les homosexuels, hommes et femmes, qui souhaitent changer. »

Si l’organisation se dit laïque, elle n’hésite pas à s’allier à des organismes religieux d’ex-homosexuels (ex-gay movement) majoritairement représentés par Exodus International, fermé en juin 2013. En effet, son président, Alan Chambers, a reconnu que 99,99 % des patients n’avaient pas changé d’orientation sexuelle en 2012. Si changement il y a, il est davantage synonyme de drame. Dans son rapport de 2009 sur les méthodes thérapeutiques appropriées aux changements d’orientation sexuelle, l’American Psychological Association conclue que les thérapies de conversion amènent le plus souvent à la consommation de drogues, voire à des envies de suicide.

Une violation du premier amendement ?

Mat Staver semble pourtant bien y croire. Il considère la loi comme inconstitutionnelle, car elle remettrait en cause le premier amendement de la Constitution, autrement dit la liberté d’expression, mais aussi la liberté de religion. Pour Geoffrey Stone, professeur de droit à l’université de Chicago, le premier amendement ne devrait pas constituer un objet de litige. Les lois qui régulent le discours professionnel sont distinctes de celles qui régulent le discours politique. Pour réguler le discours politique, un État doit pouvoir prouver qu’il a des raisons qui l’en obligent. Cependant, pour réguler le discours professionnel – des médecins ou avocats par exemple —, un État doit simplement prouver qu’il a des raisons rationnelles. Chris Christie n’a-t-il pas de raisons rationnelles d’interdire les thérapies de conversion ?

À moins que Mat Staver considère que la religion prévaut sur bien-être et autodétermination, au sens strict du terme. Steve Shiffrin, spécialiste du premier amendement à l’université de Cornell, renchérit : « Je ne vois tout simplement aucun problème significatif mis en cause avec le premier amendement. » Néanmoins, Nicholas Cummings, ancien directeur de l’American Psychological Association, tente de contredire les propos des spécialistes : « Un programme politique ne devrait pas empêcher les gays et les lesbiennes qui souhaitent changer de prendre leurs propres décisions. » Erreur, puisque la loi dispose seulement qu’une « personne autorisée à assurer une aide psychologique professionnelle […] ne pourra pas entreprendre d’effort de changement d’orientation sexuelle sur une personne de moins de 18 ans. » C’est justement ce dernier point que beaucoup veulent ignorer.

Des enfants privés de liberté ?

Doit-on priver les enfants d’un quelconque droit de regard sur leur propre personne ? Tim Eustace, premier représentant gay du New Jersey, parle d’une « forme insidieuse de maltraitance sur mineur. » Libre à ces jeunes de changer par la suite, de s’approprier la notion d’autodétermination, sans pression extérieure. La liberté religieuse n’est qu’une liberté fondamentale parmi tant d’autres. Le Christian Right ne peut pas se faire l’apôtre d’une politique nationale. Les thérapies de conversion sur les mineurs sont à inscrire dans la longue liste de dépossession des enfants de leur libre arbitre, au profit de la religion, comme l’enseignement à domicile ou les soins. Nous citerons en exemple la religion amish, après que deux enfants de 2 ans et 8 mois de Philadelphie ont trouvé la mort, l’un en 2009, l’autre en avril 2013 ; leurs parents refusaient de leur prodiguer des soins médicaux. Ils ont depuis perdu la garde de leurs sept autres enfants.

Après la suppression de la section 3 du Defense of Marriage Act qui interdisait le gouvernement de reconnaître le mariage homosexuel, l’interdiction des thérapies de conversion dans le New Jersey symbolise un réel progrès dans la lutte de la reconnaissance des homosexuels aux États-Unis. Les États de New-York et du Massachusetts prévoient de suivre. La présence de groupes homosexuels lors de la commémoration de la Marche vers Washington mercredi 28 août ne peut que confirmer ce progrès.



Etudes anglophones. Passionné par l'histoire et la politique américaine. Admirateur de la… En savoir plus sur cet auteur